Jean Vallon passe facilement d’un univers à l’autre, par analogie, par enchaînement d’idées.

En 2008, il s’amuse ainsi à peindre un « sacré cœur » qui emprunte là encore beaucoup à l’icono- graphie new age : son Christ ressemble à une rock star. La star joue aux cartes…Elle a certes un cœur dans les mains, mais elle écrase de sa puissance les autres joueurs, dont l’un est par ailleurs pris d’assaut par des homuscules facétieux. Jean Vallon s’amuse.

Parfois, la divagation part d’une interrogation religieuse, passe par des traitements ludiques… pour revenir à un questionnement plus métaphysique.

C’est ainsi qu’en 1995, alors qu’il vient de peindre plusieurs toiles d’inspiration mystique, il livre une Baignade chez les F. qui n’est ni plus ni moins que la description d’une petite partie de dé- bauche entre amis. La scène est a priori rigolote, légère. Elle est en fait traitée comme un tableau religieux : comme dans les tableaux médiévaux où sont représentés à la fois le paradis et l’enfer, il y a clairement deux zones lumineuses, un ciel d’un bleu clair apaisant, rempli de silhouettes pour une fois calmes, silencieuses. Et une partie basse, la partie de jambes en l’air, qui baigne dans une ambiance de feu et de flammes où le rouge est évidemment dominant.

Le tout rappelle les représentations duales de l’enfer et du paradis comme on peut les voir chez Jérôme Bosch par exemple. Elle évoque plus généralement la confrontation de la caricature et du bien pensant.

Bref, Jean Vallon mélange ici encore une fois les univers. Et il le fera à de multiples reprises. Trois tableaux intitulés Ecce Homo, donnent trois versions de cette scène fondatrice de nombreuses croyances. Ecce Homo, c’est théoriquement la phrase prononcée par Ponce Pilate quand il présente Jésus à la foule. C’est un moment tragique pour les croyants, le moment où les hommes n’ont pas compris qu’ils avaient en face d’eux le Fils de Dieu. Mais c’est plus généralement une scène initia- tique. Ecce Homo, c’est le titre de la biographie de Nietzsche, pour qui l’homme n’est rien si on ne prend pas en compte à la fois la pensée et le corps. En ce sens, Ecce Homo, dans lequel Nieztsche avoue son respect pour le bouddhisme et les philosophies orientales, est aussi un nouveau départ dans la pensée occidentale, une nouvelle proposition pour appréhender la nature humaine sous une forme globale, loin, bien loin de la pensée platonicienne qui a dominé jusque-là.

Jean Vallon n’est pas un philosophe. C’est un peintre. Il s’et emparé du thème et l’a décliné à sa guise : dans l’un de ces tableaux, le sauveur est encore le sauveur, en toge et les mains dans le dos, dans une attitude de prisonnier qui se présente à la foule. Mais la foule est constituée de grotesques qui évoquent les masques de James Ensor. On se sent davantage au carnaval de Venise qu’à Jérusalem il y a 2000 ans… Sur la gauche du tableau, dans ce qui pourrait être un élément de décor, le rideau rouge d’une scène de théâtre contemporain, un personnage qui rappelle davantage le Solve et Coagula, renvoyant davantage à l’Antiquité, ou aux Alchimistes cherchant la transmu- tation des énergies négatives en énergies positives. Finalement, l’espoir résiderait davantage dans cette figure qui domine le tableau sans en être le personnage principal. Un homme est livré à la foule, mais un autre, dans l’ombre, est là pour chercher encore et toujours la vérité.

Impression encore plus forte dans un deuxième tableau, où l’impétrant fait cette fois-ci davan- tage penser à un torero ou un Arlequin. Il a une main dans le dos, mais cette main n’est pas celle d’un prisonnier. C’est davantage la main d’un acteur qui vient d’enlever son chapeau pour saluer la foule… D’ailleurs, une femme traitée de la même manière que lui est à moitié cachée par un rideau. On est bien sur une scène, on est bien dans la représentation d’un peintre qui a esthétisé ses per- sonnages. Il ne reste plus grand-chose du tragique du premier Ecce Homo, si ce n’est la situation d’un homme qui vient se présenter, de manière quasi-absurde puisqu’on n’en connaît pas la raison. Jean Vallon propose encore une troisième version, avec cette fois-ci une ambiance davantage dés- humanisée, où toutes les silhouettes, y compris celle de l’accusé qui tourne le dos, sont réduites à quelques formes géométriques. La partie supérieure du corps (un triangle, un trapèze ou un rec- tangle) n’est reliée que par quelques tiges à la partie inférieure. Les hommes sont là, accusateurs, anguleux, mais somme toute d’une constitution extrêmement fragile. Et celui dont la fragilité est la plus évidente… est l’accusé lui-même.

Jean Vallon a donc fait des détours par des visions extrêmement contrastées du Ecce Homo, des visions qui mettent l’accent sur la Mort qui rôde, sur l’aspect tragique de cette scène initiatique, mais également sur les possibilités de renouveau qu’elle contient.