Jean Vallon s’amuse. Et certaines toiles se ressentent très clairement de son propre univers culturel. Le peintre, vivant dans le sud de la France, aime l’Espagne et connaît bien le musée Dali, situé en Catalogne. Mais d’autres références peuvent venir à l’esprit : Yves Tanguy devant les pay- sages désertiques et les formes indéfinies qui y flottent, mais tout autant l’Italie de Chirico devant ses personnages qui sont à moitié statufiés, ou encore Magritte pour certaines toiles où réalité et illusion sont imbriquées de manière ludique.
Quelle que soit la référence, une chose est sûre : Jean Vallon a une veine surréaliste évidente, notamment à la fin des années 80 et au début des années 90. Régulièrement, des thèmes re- viennent (les œufs, les échiquiers, les ciseaux, etc), des détournements d’images ont lieu, qui apparaissent petit à petit, à force de s’imprégner des images.
Dans ses toiles, bien souvent, Jean Vallon part d’un arrière-fond dépouillé, qui se partage nettement en deux parties, un ciel d’un bleu appuyé et une terre ocre et nue en-dessous. Le paysage est dressé, simple, nu, et il va accueillir différentes scènes, toutes plus troublantes les unes que les autres.
Certaines choses peuvent se comprendre, parfois s’expliquer, mais la plupart du temps, il ne faut pas chercher à décrypter élément par élément, mais privilégier au contraire une vision d’ensemble : les différents éléments contribuent à créer une atmosphère.
Dans Al Principio (1987), une sphère repose en équilibre sur deux baguettes elles-mêmes en équilibre précaire sur une autre sphère… qui se trouve peinte dans un tableau dans le tableau. Est-il besoin de décrypter la scène, de savoir exactement ce que sont chacun de ces éléments ? L’es- sentiel est dans l’enchaînement général : un ensemble instable, fragile, inattendu, qui peut laisser perplexe mais qui peut aussi générer du nouveau : au-dessus de ce mikado, émerge un embryon de nouveau monde : petit à petit, des corps se forment au-dessus de ces éléments. Al Principio, à l’ori- gine… Comment de rien peut naître quelque chose…Déjà on perçoit derrière une représentation légère que les interrogations peuvent toucher à des choses plus fondamentales.
Même atmosphère générale dans Prémonition (1985) : pris séparément, les éléments peuvent laisser perplexes, mais l’impression générale est bien là : il y a bien quelque chose qui ressemble à un temple grec pour renvoyer à la civilisation antique, un Golden Gate ou des derricks pour renvoyer à la civilisation actuelle, mais tout cela reste d’une fragilité évidente : les choses sont juxtaposées, ce n’est pas la civilisation nouvelle issue de l’ancienne, mais davantage des choses qui se sont faites d’elles-mêmes, ajout après ajout. Résultat : un sentiment de précarité domine. D’ail- leurs, des petites paires de ciseaux, extrêmement fins, sont prêts à couper les tuyaux qui relient les éléments entre eux, … et le grand personnage est lui-même assimilé à une machine que de petits ouvriers sont en train d’examiner.
Dans cette série des années 80, Jean Vallon a également peint deux toiles étonnantes : en 1985, le peintre a représenté, au milieu du désert, une grande ville composée de gratte-ciels… la plupart debout, certains couchés, fracassés. Le 11 septembre n’aurait lieu que seize ans plus tard, mais si l’on n’avait la date de réalisation du tableau sous les yeux, on pourrait s’y méprendre… Et trois ans plus tard (1988), Jean Vallon va peindre une toile qui vient compléter la vision : dénommée l’Utopie, cette toile montre un enfant semblant affronter un avion qui lui fonce dessus, avec pour seule arme un lance-pierre… qu’il est prêt à remplir avec les perles d’un collier cassé…