Ibiza, la ville-fête par exemple, la ville où convergent tous les fêtards aux beaux jours. Des fê- tards, anonymes ou célèbres, qui se retrouvent dans des boîtes de nuit où le but du jeu est d’être à touche-touche à faire les mêmes gestes que les voisins. Entraînés dans cette ambiance par des DJ qui enchaînent les musiques toute la nuit, sans répit.

Jean Vallon aime aussi à retranscrire par son pinceau ces ambiances, à mille lieux des paysages de garrigues au pied du Pic Saint Loup.

Les personnages sont là, tous un peu identiques, mais tous identifiables bien séparément grâce à ces lignes noires qui les délimitent les uns des autres, comme Hergé délimitait ses personnages dans la bande dessinée : une couleur, un trait noir par personnage.

Mais ce principe qui pourrait donner une identité à chacun, est perverti par la multiplicité : répété des dizaines, des centaines de fois, les personnages deviennent des éléments d’un tout. Et c’est ce tout qui devient le sujet, pas les hommes et femmes qui le composent.

La foule était déjà là, quand le peintre peignait les corridas dans les arènes de Nîmes. Mais la foule regardait alors ce qui se passait dans l’arène. Elle ne constituait pas le centre d’intérêt principal de la toile, elle était un spectateur intégré au tableau (Dualité à Nîmes, 2002 ou encore El Dérechazo, la même année).

A Ibiza, la foule devient le sujet à part entière de la toile.

Dans certains cas, l’impression est juste à la concentration des personnages. Les couleurs restent vives et primaires. Le monde semble simple : du jaune, du rouge, du bleu, des lignes bien tran- chées, des personnages qui sont les uns à côté des autres, à l’unisson pour faire la fête. De manière frontale.

Parfois, la fête est vraiment là, le rythme a pris, comme dans cette toile où le peintre a davan- tage marqué la perspective, donnant à la foule une vision encore plus gigantesque, comme si elle continuait bien au-delà des limites de la toile. Les personnages s’éloignent progressivement, mais tous lèvent les bras en même temps. On imagine sans peine la musique qui peut provoquer une telle vague humaine. Le peintre lui-même se place comme bien souvent à un point de vue imaginaire, qui lui permet de survoler cette foule tout en restant à son contact. Ni au-dessus, ni à l’horizontal. A 45°, de quoi voir et imaginer en même temps.

Et parfois les personnages n’apparaissent que progressivement. La toile est d’abord blanche, puis on lève un peu le regard pour apercevoir quelques bras qui s’échappent du blanc, puis quelques bustes, et enfin la foule comme on la voit dans d’autres tableaux…. Le blanc lui-même fait le lien entre l’avant et l’après, ce n’est pas un blanc créé par le peintre, mais le blanc de la toile, présent avant même que les couleurs prennent vie et que l’ensemble s’anime.

Le peintre a cherché dans ce cas à retranscrire les nuages de mousse blanche qui font le propre de certaines soirées dans les boîtes d’Ibiza. Les « soirées mousse » trouvent leur transcription sur la toile par ce blanc qui domine tout le bas de la toile : les personnages émergent peu à peu de cette mousse et rejoignent un monde de rythme et de couleurs. Du blanc uni, on passe à une profusion de traits et de couleurs…

Mais dans l’ensemble…. D’où vient l’impression que cette ambiance reste tout de même un peu factice ? Peut-être justement à cette fausse simplicité, à ces couleurs primaires qui ne se ren- contrent pas. Chacun est là, chacun fait la fête, mais la rencontre entre les uns et les autres n’est pas si évidente que cela.

Parfois tout de même, Jean Vallon donne un autre aperçu : dans l’une, il a au contraire mélangé les personnages en les fondant par la couleur, dans une autre, le pétard du DJ est bien apparent, donnant un nouveau sens à ces couleurs qui inondent ces peintures : réalité ? visions de personnes qui voient ce qu’elles ont envie de voir : un monde simplifié, comme les couleurs primaires repré- sentent l’alphabet le plus simple dans la gamme chromatique.

La fête n’est pas toujours symbolisée par la couleur. De temps en temps, le noir et le blanc re- viennent. Dans l’une des toiles les plus récentes, les personnages sont autant en mouvement que dans les toiles colorées, mais cette fois-ci, ils ne sont plus que des traits de couleur noire qui se mélangent les uns aux autres. La toile est plus graphique, les carrés noirs que l’artiste a placés dans trois des quatre angles semblent dire : vous voulez me décrypter ? Téléchargez ce qrcod et vous en saurez davantage… Un esprit facétieux qui va parfaitement bien avec le thème traité : la fête bat son plein y compris dans l’esprit du peintre.