Jean Vallon est un homme du Sud. Sud de la France, Sud de l’Espagne, voire désert africain. Les ambiances ne sont évidemment pas les mêmes entre les garrigues montpelliéraines et le Sahara, mais les deux sont tout de même emprunts d’une terre ocre qui prend plus ou moins d’importance. Dans la série africaine (Retour du désert, Retour du Maghreb, etc), l’ocre domine, l’ocre du sol comme l’ocre des constructions de pisé. Dans ces paysages, les hommes ou les moutons ne sont guère que des silhouettes à peine esquissées, comme posées là, sans en être les acteurs principaux. L’ocre vire au jaune quand on aborde le monde de la corrida. Jean Vallon peint les arènes et les corridas comme il peint tout ce qui a trait à cet univers méditerranéen : avec curiosité, mais sans fascination particulière. Le torero, quand il est représenté, ou le taureau ne sont pas des héros. Le côté tragique de l’homme prêt à affronter la mort n’est pas le sujet central. Le sujet central, c’est la foule, l’ambiance, la couleur pour la couleur. Pour un peintre, les arènes représentent un lieu émi- nemment pictural : rond, accrochant la lumière, permettant des ombres tranchées, virant facilement à l’abstraction. C’est tout cela qui intéresse Jean Vallon. Dans Faena, l’arène se transforme en cible, le point de vue pourrait être celui d’un Dieu qui domine tout cela, indifférent à ce qui se passe : on distingue bien le taureau, on distingue vaguement un bout de couleur rouge, mais difficile de dire ce qui se passe réellement entre le taureau et un éventuel torero invisible. En revanche, les cercles concentriques dans l’arène même, et le rouge qui la borde évoque de manière plus simple et percutante ce qui s’y joue. Et, vue de cette hauteur inconnue, la foule se transforme en une espèce de hiéroglyphes d’un temps nouveau, une écriture divine compréhensible par celui qui l’a écrit.

Ce n’est pas la seule façon que Jean Vallon a trouvé pour prendre de la distance avec son sujet. Dans d’autres toiles, on voit bien qu’il se passe autant de choses dans l’arène ou dans les gradins que dans le ciel (Sol y sombra, 2000 ; El Derechazo, 2002). Cette présence du « non manifesté » qui n’est pas spécifique au monde de la corrida dans l’œuvre du peintre, prend ici un sens particulier : elle tend à rassembler tous les acteurs de la scène. Dans le ciel, des hommes qui ont peur, un torero passif, un taureau qui pleure… Le regard se déplace, Jean Vallon ne peint pas la destinée tragique du taureau, l’angoisse des aficionados ou la peur du torero (pourtant bien visible dans El Derechazo, ou le torero est blanc comme un linge…). Il mélange tout cela pour montrer que l’intérêt de la corrida tient dans tout cela à la fois.

Petit à petit, ce thème va évoluer, en allant vers une stylisation toujours plus poussée. Dans les Arènes de Nîmes, tout se chevauche : cinq taureaux, cinq toreros, des chevaux, des picadors occupent les arènes, mais restent finalement au second plan, derrière une évocation rapide mais centrale d’une Pieta. La foule a donc beaucoup de choses à se mettre sous les yeux. Celui qui re- garde le tableau en a encore davantage, puisque toute cette scène est elle-même bordée d’une frise composée de symboles qui montrent des taureaux épurés, des taureaux qui renvoient aussi bien à la grotte de Lascaux qu’à l’invention d’un Picasso réalisant un taureau avec une selle et un guidon de vélo. La corrida devient alors une porte d’entrée pour un univers fait de soleil, de mysticisme, d’inventivité, un univers qui renvoie à une histoire plus que millénaire.

Et parfois, tout cela s’emmêle, les visions se surimposant les unes aux autres. Dans La vision refoulée du torero, 1996, Jean Vallon ne distingue plus le taureau de la femme, et le torero de dos pourrait bien être le peintre lui-même qui contemple quelque chose de stylisé, un corps féminin si l’on s’en tient au premier plan, une ombre beaucoup plus inquiétante si l’on prend en compte le rouge et le noir du taureau blessé dans l’arène.

Finalement, la corrida chez Jean Vallon reste ambivalente. C’est un spectacle, à la fois sérieux et ludique : dans Le prologue (2001), le torero boit un verre (le dernier ?) avec son taureau…